(mission) c'est vraiment si urgent que ça ?

Le prix qu'il fixe en échange de sa participation à votre curieuse tâche n'est pas bien élevé, et c'est sans grande hésitation qu'on l'accepte volontiers. Il adresse ses remerciements en retour, qui malgré leur politesse gardent un aspect terne, fade, qu'on imagine difficilement à un esprit de la nature réputé enfantin et enjoué. Mais il n'est pas n'importe quel Korogu, c'est une chose que vous deviez avoir compris tous les deux, à l'heure qu'il est.

C'est lui qui ouvre la marche à travers le bois qui s'épaissit, vous conservant sur ses talons en ralentissant lorsqu'il y en a besoin. Il ne se retourne même pas, mais tend simplement l'oreille, et adapte son allure lorsqu'il entend que ça peine derrière lui. Si sa petite taille lui permet de naviguer sans effort à travers les traîtres branches basses et les feuillages qui deviennent de plus en plus denses, il n'en va pas de même pour chacun d'entre vous, surtout pour toi, Rhodes, qui le dépasse d'une bonne soixantaine de centimètres dans ta forme humaine.

Vous finissez néanmoins par arriver là où il souhaitait vous mener, et il s'arrête en premier, songeur, pendant que vous l'imitez et observez les alentours. L'endroit n'a plus rien de l'orée clairsemée du bois dans lequel vous vous êtes rencontrés : il s'agit là d'une partie de la forêt bordant les Bois Perdus, épaisse et sombre. La vie ici y est plus animale qu'autre chose, et la lumière filtre avec difficulté entre les arbres bien proches les uns des autres, épais et vigoureux.

Il se retourne enfin lorsque tu prends la parole, Rhodes, et penche la tête sur le côté, pensif, te regardant t'asseoir dans l'humus pour ramasser soigneusement les glands qui s'y sont échoués, avec le concours de Pelote.

C'est bizarre, finit-il par dire. Il y a beaucoup de chênes, ici. Il devrait y avoir beaucoup plus de glands. Et des écureuils, aussi.

L'idée lui vient aussitôt qu'il termine sa phrase.

Je vais les appeler.

Car il est décidément trop étrange qu'il n'y en ait pas un seul présent ici malgré les glands qui jonchent le sol. Peut-être qu'en observant la direction par laquelle ils arriveront, vous aurez un indice sur l'endroit de la forêt où ils se trouvent, et donc sur le lieu où il faudra concentrer vos efforts de récolte.

Il grimpe sur une grosse racine qui le surélève légèrement et place ses mains en porte-voix autour de l'ouverture la plus basse de son masque, celle qui fait office de bouche, puis émet pendant quelques dizaines de secondes une suite de petits couinements et grincements aigus qui ressemblent à s'y méprendre aux sons que produisent les écureuils. Le silence retombe, et vient avec lui l'anticipation de voir arriver une flopée de petits rongeurs.

Alors que la récolte progresse, bien que maigre par rapport à ce que vous espériez tous, Pelote émet une réflexion qui va de concert avec les pensées du petit Korogu. Tout cela est en effet bien étrange, et le devient de plus en plus à mesure que vous progressez dans les bois. Il le garde toutefois pour lui, ne souhaitant pas inquiéter plus que de raison ses compagnons, mais ne peut s'empêcher de faire entendre son savoir d'être de la nature :

Ce serait très étonnant. Les écureuils ne mangent pas de glands, en été. Ils préfèrent les fruits et les baies, même les pousses d'arbre. Ils ont plutôt tendance à les cacher pour l'hiver. Et si effectivement ils les ont mangés, c'est qu'ils sont à court de nourriture, et ça, c'est très bizarre. Et très inquiétant.

Là-dessus, il annonce tenter d'en attirer quelques uns, et grimpe donc sur sa racine d'où il émet une suite de petits cris d'écureuil plutôt réussie. L'anticipation est de courte durée, et surtout couronnée de déception lorsqu'un seul animal se présente à vous. Il semble particulièrement nerveux, ce qui interpelle Conitus, mais il n'a pas le temps d'adresser le moindre mot à la petite créature que celle-ci s'enfuit à toute vitesse, visiblement effrayée par quelque chose d'imperceptible pour vous.

Ni une, ni eux, il saute des nœuds de racines qui le surélevaient et se lance à la poursuite de l'écureuil.

Attend ! lui crie-t-il.

Il suit la piste de l'animal autant que cela lui est possible, tâchant de ne pas le quitter des yeux, pendant que derrière lui, dans ce coin du bois où vous vous étiez arrêtés, demeurent deux compagnons d'infortune qui doivent bien se demander quoi faire, à présent.